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Les implications juridiques autour de la question intersexe sont variées. Nous y retrouvons les réglementations liées à l’Etat civil et les pièces d'identité, y compris les lois introduisant un troisième choix de sexe dans l’Etat civil. Il y a également beaucoup de questions par rapport à la législation des pratiques médicales. Depuis 20 ans environ (notamment la création de l’ISNA en 1993), les militants intersexes haussent la voix pour dénoncer les chirurgies non médicalement nécessaire qui déclenchent une polémique par rapport à l'éthique médicale et peut avoir des résultats juridiques et législatifs signifiants.

 

Selon la loi française, depuis 1955, le délai de déclaration de nom et d’Etat civil d’un enfant peut être prolongé jusqu’à “un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés” si l’enfant est diagnostiqué avec un DSD (au lieu de 3 jours). Cela donne assez de temps à une équipe multidisciplinaire d’évaluer les niveaux hormonaux et le caryotype de l’enfant avant de faire une recommandation de sexe aux parents (qui peut être accompagnée par une recommandation de chirurgie “normalisante”). Voici le texte de loi en France, “Enfants de sexe indéterminé”.

 

Le processus de transition de sexe par rapport à l’accès aux soins et au changement d’Etat civil est aussi important à considérer sous l’axe juridique. Si une personne avec un DSD souhaite poursuivre une transition M to F ou F to M, à cause de la mauvaise assignation de sexe à la naissance, un changement de nom et d’Etat civil en plus des soins (comme les chirurgies ou les traitements hormonaux) peuvent être obtenus une fois le patient diagnostiqué. Pour les personnes transexuelles, l’accès aux changements légaux et médicaux de sexe est beaucoup plus limité. Il n’y a pas de base biologique à leur transition, donc ils doivent suivre au moins deux ans des traitements psychologiques avant de pouvoir procéder à leur transition. Il apparaît donc qu’un DSD fait que la personne est plus crédible quand à sa propre identité. Sylvaine Télésfort (AMIHE) et Jim Ambrose (The Interface Project) soutiennent qu’ils connaissent des personnes transexuelles qui essaient de “se faire passer pour intersexe” pour pouvoir accéder aux traitements. Paradoxalement, les lois actuellement en place font que “les personnes intersexes ont des chirurgies non voulues alors que les personnes transgenres doivent se battre pour avoir les chirurgies qu’elles veulent,” dit Saifa Wall dans une vidéo pour Buzzfeed.

 

 

Troisième sexe, lié à l’intersexuation ?

 

Un développement récent sur cette question d’Etat civil est de pouvoir ajouter un troisième choix de sexe dans l’Etat civil dans certains pays. Parfois cela vient d’une logique liée à l’intersexualité biologique et parfois ces lois sont plutôt liées aux enjeux identitaires (sans lien avec les DSD). En fait, les passeports avec “X” au lieu de “M” ou “F” datent de 1945 quand la Croix Rouge s’occupait d’un nombre massif de réfugiés. Beaucoup de gens ont reçu un passeport X parce que les prénoms étrangers n’étaient pas facilement reconnaissables comme masculins ou féminins pour les travailleurs humanitaires à l’époque. h

 

Les militants intersexes ne sont pas tous d’accord sur la mise en place du troisième sexe. Dans leur déclaration officielle au 3ème Forum International Intersexe, trente organisations ont demandé “qu’on enregistre les enfants intersexués comme filles ou garçons en demeurant conscient que, comme toute personne, ils peuvent éventuellement s’identifier à un sexe ou un genre différent. Qu’on s’assure que les classifications de sexe ou de genre soient modifiables grâce à une simple procédure administrative, à la demande des personnes concernées. […] Tous les adultes et mineurs capables devraient pouvoir choisir entre femme (F) et homme (M), non binaire ou plusieurs options. Dans le futur, les catégories de sexe ou de genre devraient être supprimées des certificats de naissance ou des pièces d’identité de chacun, de la même manière qu’avec la race ou la religion.”

 

Un troisième sexe dans l’Etat civil existe en Australie depuis 2013. Il suffit de présenter une  lettre d’un médecin qui indique que la personne vit dans un genre “indéterminé, inconnu ou non spécifié.” Cela fait référence aux personnes trans et intersexes. En Allemagne, une loi de 2013 a introduit le ”X” comme troisième sexe pour les actes de naissance et les passeports. Cette loi est l’unique dans le monde destinée aux personnes intersexes. On lui a reproché de ne pas prendre position par rapport aux opérations “forcées.” D’autre part, la loi n’est pas claire concernant la possibilité de mariage des personnes désignées X parce que le mariage gay n’est pas actuellement légal dans le pays.

 

Les projets de loi pour mettre en place un troisième sexe existent actuellement dans d’autres pays, mais ils ne font pas référence à l’intersexuation biologique. Les troisièmes sexes en Nouvelle-Zélande, Inde, Bangladesh et Népal ont été créés pour faciliter les démarches trans.

 

Consentement informé et éclairé

 

Un élément important à considérer dans les pratiques médicales concernant les DSD est le concept légal et éthique du consentement informé et éclairé. Cela veut dire qu’un médecin doit informer le patient par rapport à la nature de la décision ou de la procédure, donner des alternatives à l’intervention proposée, discuter des risques, des bénéfices et des incertitudes de chaque alternative et déterminer la compréhension du patient par rapport à tout cela avant que le patient puisse accepter l’intervention.

 

Souvent dans les cas d’intersexuation, les médecins ne sont pas formés à un niveau adéquat pour pouvoir obtenir un consentement du patient médicalement éthique. Les pratiques de “normalisation” sont en place depuis si longtemps que les médecins, spécialement de générations plus anciennes, ne se posent pas de questions. Les questions légales se compliquent d’autant plus parce que les décisions prises concernant les patients avec un DSD le sont souvent pendant l’enfance, où le consentement doit être donné par les parents. Les parents ont souvent peur d’avoir un enfant avec des organes génitaux atypiques donc ils sont plus faciles à persuader de consentir à une intervention chirurgicale irréversible. Selon certains groupes militants, l’apaisement des parents n’est pas une raison suffisante pour prendre ce genre de décision, mais il n’y a quasiment jamais de recours légal suite à ces interventions. Les médecins sont parfois accusés de coercition. Leurs opérations ne sont pas les actes agressifs de préservation de statut quo. Bien au contraire, ils ont appris qu’un enfant aurait beaucoup de mal à grandir avec un aspect atypique. La communauté médicale voit ses interventions comme un moyen de soigner la psychologie par le physique. Bien au-delà d’un simple raisonnement esthétique, le professeur Sophie Christin-Maître constate : “Ça peut être extrêmement génant dans la vie sexuelle d’avoir un organe qui est hypertrophié.” [Mais le problème est qu’il n’y a quasiment aucune étude de suivi pour voir si les patients sont gênés plus par leurs “corrections” ou par leurs différences non opérées. Une raison pour laquelle les parcours sont difficiles à suivre est le fait qu’il ne reste que très peu de personnes avec un DSD qui n’ont jamais été opérées. Emily Quinn (Inter-Act) connait personnellement des centaines de femmes avec une insensibilité aux androgènes et elle est parmi les 5 qui n’ont pas été opérées. La militante Hida Viloria d’une façon similaire, n’a jamais rencontré un gynécologue qui a déjà vu un clitoris aussi grand que le sien. ] La participation de l’enfant plus âgé dans la décision est encore un autre élément à considérer dans les questions autour du consentement. Quand les parents et leur enfant ne sont pas d’accord, la décision médicale devient encore plus obscure.

 

A Malte, une loi promulguée en 2015 a été la première à interdire les chirurgies “esthétiques” jusqu’au moment où la personne peut y consentir. L’impact des lois comme celle-ci n’est pas certain car rien n’empêche les parents d’un enfant avec un DSD de chercher un chirurgien en dehors du pays.

 

M.C : Un moment décisif ?

 

Un procès monumental est en cours maintenant en Caroline du Sud aux Etats-Unis. En 2006, à l'âge de 16 mois, M.C. a eu une opération féminisante pendant que l’Etat avait la garde de l’enfant. Ses parents adoptifs, les Crawfords, n’ont pas souhaité que l'opération soit faite, mais c’était déjà trop tard. M.C. s’identifie et se présente comme un petit garçon mais ses organes génitaux ont un aspect féminin. Pam et Mark Crawford ont amené l’affaire au tribunal fédéral pour la violation des droits de leur fils adopté, M.C. En janvier 2015, ce procès, M.C. vs. Aaronson n’a pas été retenu à la base de l’argument que les droits constitutionnels à ce sujet n’étaient pas suffisamment clairs au moment de l’intervention. Cette décision n’établit pas une jurisprudence car le langage était très spécifique aux circonstances de cette affaire. Les Crawfords attaquent aussi au civil dans la cour de l’état de Caroline du Sud l’hôpital universitaire pour faute professionnelle. Pour eux, les médecins n’ont pas suffisamment informé les personnes en charge de l’enfant à l’époque quand aux risques de stérilité et de dysfonctionnement sexuel associés à l’intervention . Pam Crawford dit, « Nous espérions que le fait de monter la voix et prendre action en justice, nous aiderons d’autres enfants nées avec les conditions intersexes et leurs familles d’éviter la douleur qui pour notre fils va durer toute sa vie. »

“We hope that by speaking out and taking legal action, we will help other children born with intersex conditions and their families avoid suffering the pain that our son will be forced to deal with for the rest of his life.”

 

Si le militantisme contre les chirurgies de ce type est actif depuis une vingtaine d’années, pourquoi M.C. est le premier procès de faute professionnelle ? La plupart de ces opérations sont fait très tôt dans la vie des personnes concernées et les prescriptions des fautes comme celles-là sont souvent dépassées au moment que la personne se rend compte qu’on l’avait fait du mal. Aux Etats-Unis, la prescription est entre 2 et 10 ans selon l’état. En France le délai de prescription est 10 ans.

 

Ce procès, M.C. vs. Medical University of South Carolina peut mettre en place une jurisprudence contre les chirurgies de ce type qui aurait beaucoup plus de puissance légale que les accords et les recommandations entre groupes de médecins. Ou même les lois comme celle de Malte. Jim Ambrose dit que beaucoup de médecins et chirurgiens suivent ce procès très attentivement. Son espoir est que M.C. va gagner et cette jurisprudence va faire peur aux médecins qui font ces opérations sans réfléchir. La peur de devoir payer les réparations ou même aller en prison « devrait créer une doute dans l’esprit du chirurgien qui voulait inciser les organes génitaux en bonne santé, » dit Ambrose, « Ça c’est l’application de la loi. »

 

“That comes out and a legal precedent is set that a judge representing a district in South Carolina said that this prosecution has made enough of a case to say that this surgery was unnecessary, this surgery sterilized this little boy unnecessarily. This surgery mutilated this child unnecessarily. [...] You’ve got surgeons and clinicians in the United States who are watching that case very closely. [...] That is enforcement you can’t buy because what it does is that it instills fear. It instills apprehension. It puts doubt in the mind of a surgeon who was more than happy to cut healthy genitals. It puts real doubt because it hits them right in the pocket, and it puts even more doubt in hospital administrators minds because they’re responsible for a whole fucking hospital. If they now knowingly, did this surgery when this legal case was decided this way, that everybody knew about. So not only are you going to get sued excessively but you’re going to jail. That’s what I mean by enforcement.”


 

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