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Genèse du militantisme intersexe

 

La première grande entreprise de valorisation et de médiatisation de la question intersexe a été lancée par ISNA (Intersex Society of North America), et Bo LAURENT en 1993. L’objectif de cette initiative était de constituer, en s’appuyant sur les expériences de personnes intersexes, de leurs familles, une base informative exhaustive sur la question DSD. L’objectif déclaré était par ailleurs de faire évoluer l’approche médicale de la question, afin de garantir une prise en charge plus axée sur le bien être de la personne, plutôt que dans une optique “normalisante”.

Nous avons par ailleurs pu constater dans nos recherches une médiatisation croissante autour de la question intersexe depuis le début des années 2000, impulsée notamment par l’action de certaines associations oeuvrant pour la visibilité de l’intersexuation.

 

 

Les forums internationaux comme vecteurs de visibilité

 

Ce gain de visibilité s’est caractérisé et a été permis par l’organisation des trois premières éditions du forum international de l’intersexuation.

Ces forums ont été organisés conjointement avec des associations LGBT, qui ont permis de donner une cohésion et une plus grande visibilité au mouvement.

La première édition du forum s’est tenue en 2011 à Bruxelles, la seconde à Stockholm (2012) et la troisième à Malte (2013).

Ces forums ont été l’occasion de réaffirmer les revendications majeures de l’association ILGA, acteur important du mouvement LGBT et des associations intersexes présentes sur la question intersexe.

 

ILGA (International Lesbian Gay Bisexual Trans and Intersex Association) regroupe dans sa nébuleuse des mouvements qui militent pour faire cesser les discriminations à l’encontre des personnes intersexes, ainsi que pour le respect de l’intégrité physique et le droit à l’auto détermination de l’identité sexuelle.

 

De manière plus concrète, le forum internaional de l’intersexualité réclame la fin des opérations qualifiées de “mutilation” et de “normalisation”, qu’il s’agisse de pratiques chirurgicales ou psychologiques. L’association réclame également un arrêt de la logique sélective vis à vis des enfants intersexués, qu’elle qualifie “d’infanticide”, et qui prend la forme d’avortements motivés par l’intersexuation de l’enfant.

 

La nébuleuse milite par ailleurs pour que le consentement et un niveau maximal d’information constituent une priorité et soient antérieurs à toute intervention médicales sur les cas d’intersexuation.

 

Sur le plan de l’accompagnement, le forum réclame une approche psychologisante dans la formation des parents et souhaite couper avec toute logique pathologisante.

 

Les associations  attendent  également un “éclairage sur les interventions non conformes pratiquées par le passé,” c’est à dire une reconnaissance des erreurs commises par la communauté médicale. Elles réclament des réparations à ce sujet, au nom du préjudice physique et moral généré par ces opérations non consenties.

 

Au sujet de l’inclusion du mouvement intersexe à la sphère LGBT, ILGA y voit un moyen d’augmenter la visibilité de la cause et de garantir de meilleures connexions entre les différentes composantes de la cause intersexe.

 

D’un point de vue plus général, la nébuleuse milite pour l’affirmation de l’existence des personnes intersexes dans toutes les régions du globe. En ce sens, les personnes intersexes doivent bénéficier du soutien adéquat afin d’orienter eux mêmes les évolutions législatives et politiques sur la question.

 

ILGA souhaite également faciliter les procédures de changement de sexe, afin d’offrir une alternative, binaire ou non aux personnes souffrant de DSD. L’objectif à terme est de faire disparaître la mention du sexe sur les documents d’identité.

 

Sur le plan médical, ILGA appelle de ses voeux une dépathologisation de la question intersexe dans les manuels médicaux. L’association réclame par ailleurs une meilleure préparation et formation des médecins sur le sujet, et milite pour un accès facilité au dossier médical du point de vue des patients intersexes.

 

 

Intégration controversée à la sphère LGBT

 

De cette description des revendications d’ILGA ressort une première posture associative, qui combat la médicalisation stricte de la question. ILGA s’affirme donc par une  volonté de l’affirmation de l’intersexualité comme identité, un refus des interventions chirurgicales non nécessaires médicalement. L’approche est juridicisante, avec une  volonté d’un droit des intersexes, et de reconnaissance de l’intersexualité comme identité.

 

La dimension associative et militante de la question intersexe constitue donc une controverse en elle même.

 

Sur la connexion éventuelle avec le mouvement LGBT, les voix sont discordantes, de deux parts. Certains militants LGBT refusent ainsi une inclusion du I à l’acronyme, considérant que les personnes intersexuées ne constituent pas une catégorie à part entière et peuvent se retrouver, malgré la diversité de leurs parcours, dans les catégories intégrées au mouvement LGBT (dans le cas des personnes intersexes rencontrant des difficultés dans la définition de leur identité de genre). Pensent qu’affaiblit cause en rajoutant populations marginalisées.

 

De leur côté, certaines associations intersexe, telles qu’AMIHE refusent toute connexion avec la sphère LGBT, considérant que la question intersexe est extérieure au débat sur le genre et l’identité sexuelle. C’est parce que l’association défend une approche strictement médicalisée qu’elle préfère se maintenir à l’écart des mouvements sociologisant.

 

La première distinction essentielle repose donc sur une approche médicale versus une approche communautaire , axée autour de la notion de genre.

 

 

AMIHE vs OII comme controverse franco-centrée

 

Le terme “mutilation”, au sujet des opérations pratiquées sur les nouveaux-nés, et sur les enfants, est également largement discuté dans la communauté associative. En effet, s’il est utilisé par ILGA et l’OII, il est rejeté par AMIHE qui considère son utilisation impropre. En effet, pour sa présidente, Sylvaine TELESFORT l’utilisation de ce terme ne respecte pas les évolutions importantes qu’a connu le traitement médical de l’intersexuation, et renvoie aux pratiques arriérées, bafouant toute notion de respect de l’intégrité physique. Pour elle, on ne peut parler de mutilation car les individus “hermaphrodites véritables” (de l’ancienne nomenclature de la question, modifiée par le consensus de Chicago de 2006) sont stériles à leur naissance, l’intervention ne fait qu’apporter une correction esthétique (ou médicalement nécessaire dans le cas du syndrome de rétention d’eau et de sels). Il faut également noter que seulement certaines variations intersexes fait que la personne est née stériles. Les opérations de “normalisations” ont parfois l’effet de stérilsation (cf procès M.C. vs. Medical University of South Carolina).

 

Cet éléments relève une opposition majeure dans le cas français entre l’OII Francophonie et AMIHE sur la question des opérations et de manière plus générale sur l’orientation à donner au combat intersexe. Alors que l’OII s’oppose, dans la lignée d’ILGA aux interventions chirurgicales qui constituent une violation de l’intégrité physique des enfants intersexe, AMIHE est en accord avec ces opérations lorsque celle-ci vont dans le sens du sexe génétique de l’individu.

 

Cette division révèle donc un conflit plus profond sur la nature du combat intersexe. Pour l’OII et son ex porte parole Vincent GUILLOT, les médecins devraient encourager l’auto détermination sexuelle des individus, reflétant ici une conception sociologisante de l’intersexuation. Le combat pour la défense des personnes intersexuées se place dès lors dans la lignée des luttes pour une libéralisation du genre, et s’intègre ainsi logiquement aux autres luttes du mouvement LGBT. Sylvaine TELESFORT milite pour sa part pour une conception médicalisée et plus pathologisante de l’intersexuation.

 

 

Visibilité vs. Action

 

Nous avons durant nos travaux d’enquête relevé une autre discordance idéologique notable autour de la nature des objectifs recherchés par les militants intersexes. Certaines associations militant pour un accompagnement individuel des personnes intersexes, l’objectif étant de maximiser, par le biais d’une médicalisation si nécessaire, le confort de la personne présentant une variation intersexe. C’est le cas de l’association AMIHE.

 

D’autres association telles que l’OII, ILGA, Advocates for Informed Choice (AIC) ou ISNA voient dans le combat intersexe la défense d’une cause plus globale. Leur objectif est bien entendu également la maximisation du confort de l’individu, mais par le biais de la valorisation et la revendication, censées conduire à des évolutions de consciences, législatives et juridiques. C’est donc une opposition dans la manière d’atteindre un objectif commun, l’une individuelle, l’autre globale. L’accompagnement des personnes d’un côté, la lutte pour une cause de l’autre.

 

Emily QUINN (Youth Coordinator chez Inter-Act, une association filialle d’AIC) résume cette opposition à celle entre les termes DSD et intersexe, le premier renvoyant à une conception strictement scientifique et le second utilisant le médical comme levier d’une revendication identitaire.

 

Jim AMBROSE de l’Interface Project va plus loin, considérant que la visibilité, recherchée par l’OII ou Inter-Act est, ne sert pas de manière suffisamment efficace la cause intersexe. Il défend une logique d’action, l’objectif déclaré étant de faire cesser les opérations, par la voix juridique. Il s’appuie donc sur les témoignages recueillis dans le cadre de son projet pour illustrer la nocivité de l’opération chirurgicale comme traitement de l’intersexuation. On note toutefois un paradoxe dans son propos, son initiative relevant largement de l’action de visibilité pour la cause des intersexes.

 

De son côté, Emily QUINN d’Inter-Act cherche à rassembler les personnes intersexes derrière un même mouvement afin de donner une plus grande visibilité politique à la question. L’objectif est ainsi de faire cesser les opérations en provoquant une évolution des consciences avec un effet boule de neige sur le législatif. L’objectif est le même que celui de Jim AMBROSE, mais la voie plus indirecte.

 

Au sujet de la connexion avec les sphères LGBT, Emily QUINN la justifie en raison des similarités dans les parcours des personnes intersexes avec les LGB, notamment au niveau de la crainte liée au coming out, ainsi que du sentiment de stigmatisation sociale ressentie par ces groupes d’individus.

 

Nous avons pu observer un lien entre l’intersexuation et la transexualité, car elles sont souvent discuté côte à côte dans les conférénces et articles. Pour explorer le profondeur de ce lien, nous avons parlé avec les portes paroles de deux associations transgenres dans la région parisienne. En effet, Emilie DAUBY d’ANT et Edwige JULLIARD d’ORTrans sont amenées à rencontrer des personnes intersexes dans le cadre de l’accompagnement du parcours de transition. Elles avouaient par ailleurs rencontrer très peu de personnes présentant une variation sexuelle, notamment en raison de la faible visibilité de cette communauté. Les deux associations expliquaient par ailleurs être en accord avec l’inclusion de la cause I au LGBT, Emiilie DAUBY voyant de nombreuses similitudes des parcours intersexes et trans, avec un inconfort lié à la question du genre.

 

Vous trouverez dans la partie consacrée aux acteurs des fiches résumant la mission des associations citées ci-dessus ainsi que celle  des mouvements intersexes les plus visibles.
 

 

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