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Genèse de la controverse

 

Avant d’entrer dans l’aspect médical de l’intersexuation, il est important de noter, comme nous l’ont rappelé à plusieurs reprises les personnes interrogées, que le traitement de l’intersexuation a connu, en France et dans le monde occidental, une évolution considérable. Le corps médical procédait jusque dans la deuxième moitié du XXème siècle à une négation totale de l’intersexuation. Cette négation impliquait ainsi une dissimulation de l’intersexuation aux parents ainsi qu’à l’enfant. Les chirurgiens opéraient systématiquement à la naissance, de manière totalement  arbitraires, et le plus souvent dans l’intérêt contraire de l’enfant. Les personnes opérées découvraient souvent très tard suite à une succession de problèmes de santé liés à l’opération, leur véritable condition, d’individu intersexué. Ces pratiques découlent largement des travaux du Dr. John MONEY , psychologue à l’Université Johns Hopkins à Baltimore aux Etats-Unis. Avec son équipe, il a développé une méthode de traitement des enfants intersexes, théorisant l’idée que les identités de genre, masculines ou féminines peuvent être construite, que l’éducation va dépasser l’identité sexuelle innée. Cette théorie s’inspire elle même de l’expérience  de David REIMER. Né en 1965 sans variation intersexe, Reimer a perdu une grande partie de son pénis suite à une circoncision ratée à l’âge de 8 mois. MONEY a conseillé de le féminiser complètement par le biais d’opérations chirurgicales et de traitements hormonaux. La transition de David Reimer (appelé “Brenda” dans son enfance) a été, selon les publications de MONEY , un succès total. Les procédures étaient gardées secrètes de David selon les ordres de MONEY. L’expérience REIMER a été utilisée comme modèle de légitimation des chirurgies et traitements correctifs pour les cas d’ “hermaphrodisme.” Mais MONEY était conscient que “Brenda” ne serait jamais à l’aise dans son sexe d’assignation.. Vers l’âge de 14 ans, David a appris enfin ce qui lui est arrivé et il a commencé a renverser sa transition en se présentant en tant qu’individu masculin.. David REIMER s’est suicidé en 2004 à l’âge de 38 ans. John MONEYest mort en 2006. Les deux hommes restent centraux dans la discussion sur les approches médicales de l’intersexuation.

 

 

Evolution du protocole de médicalisation

 

Depuis l’époque de MONEY, la médecine intersexe a connu un certain nombre d’évolutions juridiques, et à l’initiative d’une partie du corps médical, le protocole de traitement des DSD a connu depuis de fortes évolutions en France. L’intersexuation, lorsqu’elle est constatée à la naissance, est signalée aux parents et les médecins procèdent à une série de tests afin de prévenir tout risque sanitaire pour le nouveau-né, puis pour établir de manière plus précise les conditions de son intersexuation. Les médecins constituent ainsi une équipe pluridisciplinaire, regroupant toutes les spécialités citées précédemment, afin d’établir un diagnostic dans l’intérêt de l’enfant. La proposition des médecins est ensuite présentée aux parents à qui revient la décision finale. Néanmoins, de nombreux progrès restent à accomplir, notamment dans le suivi des personnes intersexe sur le long terme, afin d’évaluer l’efficacité des traitements. Le Professeur Jean-Pierre SIFFROI regrettait ainsi la communication parfois insuffisante entre les services de pédiatrie et de médecine adulte, dans le suivi de ces individus à leur majorité.

 

 

Spécialités médicales concernées

 

La question intersexe mobilise dans la communauté médicale les spécialités suivantes: endocrinologie, embryologie, urologie, psychiatrie, psychologie, génétique, pédiatrie.

La diversité de savoirs mobilisés démontre bien la complexité des cas d’intersexuation, en ce sens que les causes de cette pathologie sont multiples, de même que les profils des personnes présentant un DSD.

 

L’urologie, et plus particulièrement le pendant chirurgical de la discipline est concerné directement par les opérations au stade natal, là où la controverse est la plus forte.

Les autres disciplines, pour la plupart vont être impliquées dans le diagnostic des individus, et dans leur traitement non chirurgical.

L’embryologie va tâcher de diagnostiquer le DSD au stade pré natal, pour permettre un traitement plus efficace de la situation à la naissance. L’embryologie permettra ainsi d’évaluer la dangerosité d’une telle pathologie pour l’individu, et de déterminer en amont la nécessité d’une opération chirurgicale.

On notera toutefois, comme nous le signalait le Professeur CHRISTIN MAITRE lors de notre entretien, certaines substances utilisées au stade pré natal pouvaient affecter la santé du nourrisson, et dans certains cas causer des cas d’intersexuation chez ceux-ci. L’utilisation d’une hormone, la dexamethasone, censée garantir le bon déroulement de la grossesse et prévenir des risques de cancers, affecte en effet le système reproductif de la mère, qui ne peut dès lors plus assigner de sexe déterminé à son enfant.

 

L’endocrinologie et la génétique vont intervenir dans le diagnostic du DSD chez des patients adolescents ou adultes, et déterminer le traitement le plus adapté à chaque cas. Dans la plupart des cas, ces deux spécialités proposeront donc un traitement hormonal aux patients présentant un DSD. Le rôle de ces spécialités n’est pas aussi controversé que celui de la chirurgie urologique en ce sens qu’elles ne proposent pas de solution définitive aux DSD. Ces disciplines sont mobilisées tout au long de l’existence de l’individu puisque, même si le patient subit une intervention chirurgicale, celle-ci ne résout pas le problème de DSD de manière définitive. Le patient nécessitera un suivi hormonal suite à cette intervention.

 

Enfin, la psychologie ainsi que la psychiatrie vont chercher à apporter des solutions à un éventuel trouble mental généré par le DSD chez certains patients. Ces spécialités vont également accompagner les individus dans la définition de leur genre propre, c’est à dire celui leur offrant le plus de confort dans leur vie quotidienne. Toutefois, la psychologie intervient également en amont auprès des parents, afin de les éclairer sur le discours à adopter avec l’enfant, et ce à différents âges. L’objectif est que l’enfant n’entre pas de manière brutale dans sa condition d’individu intersexe.

 

C’est essentiellement autour de la discipline chirurgicale que se concentre la controverse, même si la question mobilise toutes les disciplines citées ci-dessus. En effet, l’acte chirurgical est définitif et recoupe toutes les accusations de mutilation infantile, formulées par certaines associations. La controverse pourrait ainsi être formulée sommairement de la manière suivante: doit-on opérer ou pas les patients présentant un DSD.

 

 

De l’arbitraire au multidiscplinaire

 

Il est important de souligner que le traitement médical de l’intersexuation a connu de fortes évolutions au cours du XXème siècle. En effet, Sylvaine TELESFORT(cf. fiches acteurs), présidente de l’association AMIHE, qui souffre par ailleurs d’intersexuation, nous expliquait avoir subi une opération masculinisante à sa naissance (destinée à faire disparaître l’organe sexuel féminin), sans que ses parents en aient été avisés. Dans les années 50 (période durant laquelle Sylvaine a subi l’opération), la logique médicale voulait que la décision soit prise arbitrairement par le chef de service chirurgical. Le tabou et l’ignorance autour de la question intersexe à cette période justifient le silence de la communauté médicale qui préférait, de fait, maintenir les parents dans l’ignorance.

 

Une fois opérés, les nourrissons ne bénéficiaient pas d’un suivi médical adéquat, par les disciplines citées précédemment. En effet, l’opération, si elle cherche à solutionner “visuellement” le DSD, ne prend pas en compte l’aspect hormonal et génétique de la question.

Si une intersexuation est constatée, c’est qu’elle est générée par des facteurs préalables (hormonaux, structure chromosomale).

Lors de notre entretien avec le Professeur SIFFROI chef du service de génétique et d’embryologie médicale à l’Hôpital Trousseau, il nous a détaillé l’évolution du traitement de la question par les spécialités médicales concernées. La décision d’opérer n’est plus prise arbitrairement par la chirurgie, mais découle d’un processus de concertation collégiale. La décision doit être prise à l’unanimité par les spécialités concernées. Cette décision est ensuite soumise aux parents, à qui revient le choix final concernant l’opération. Bien entendu, la décision leur revient dans les cas d’opération “nécessaires” socialement (c’est à dire les cas où la conséquence du DSD est essentiellement sociale). Dans les cas où la DSD met en danger la santé de l’enfant, la décision revient aux médecins, qui se contentent d’informer les parents de la nécessité d’une telle pratique.

 

Il est également important de noter qu’en cas de désaccord entre les deux parents, le cas est soumis à un juge des affaires familiales, qui rendra une décision allant toujours dans le sens du bien être de l’enfant.

 

 

Diagnostic des DSD

 

Concernant le diagnostic des DSD, la pratique médicale a connu une évolution moindre. En effet, auparavant, le constat se faisait à la naissance, et était exclusivement visuel. Cela explique donc qu’une large partie des individus nés à la même période que Sylvaine TELESFORT, et dont le DSD ne pouvait être constaté visuellement se sont vus révéler leur intersexuation à l’adolescence, voire à l’âge adulte.

 

Aujourd’hui, le développement de l’obstétrie et de l’embryologie permettent bien souvent un diagnostic pré natal des DSD. Cette pratique permet de déceler en amont les pathologies mettant en danger la santé du nouveau né et permettent donc une intervention plus efficace.

Toutefois, pour la plupart des naissances, le corps médical procède à un constat exclusivement visuel quant à la définition du sexe de l’enfant. L’examen cariotypique n’est pas systématique, ce qui explique une découverte de la situation de la DSD à l’adolescence ou à l’âge adulte chez bon nombre de patients.

 

Cet élément souligne la division la plus élémentaire au sein même de la catégorie intersexe entre DSD visible et DSD non visible. C’est d’ailleurs dans les cas de DSD visible que la controverse est la plus présente en ce sens qu’elle va motiver la pratique chirurgicale et générer ce que certaines associations qualifient de “mutilation”.

 

Dans le cas des DSD visibles, le traitement de la question va se faire dans la plupart des cas au stade natal. La volonté de l’enfant ne peut donc être entendue à cet instant et les parents vont faire un choix définitif dans l’existence de l’enfant. C’est pour cette raison que le terme “mutilation” est utilisé, faisant ici référence à une modification anatomique non consentie par l’enfant. Dans la mesure du possible, ces associations défendent une position attentiste, censée permette à l’individu de prendre lui même la décision concernant son opération.

 

 

Médicalement nécessaire vs. Esthétiquement souhaitable

 

Cet élément souligne encore une fois la distinction entre opération médicalement nécessaire et socialement nécessaire. La controverse n’existe pas dans le cas d’opérations médicalement nécessaire puisque le DSD présente un risque sanitaire grave.

 

Dans le cas contraire, où le DSD ne présente pas de risque pour la santé de l’individu, la controverse va porter sur les conséquences sociales de cette pathologie. En effet, la société a installé anciennement la logique de division sexuelle binaire, ce qui peut théoriquement handicaper un individu en situation d’intersexuation.

 

Le Professeur SIFFROI nous expliquait ainsi que, même si les parents sont informés de l’absence de risque sanitaire lié au DSD pour l’enfant, la plupart d’entre eux décident de procéder à une opération, permettant de rapprocher le plus possible le genre de l’enfant de l’idée qu’ils s’en étaient faîte.

 

En effet, les progrès de la médecine obstétrique permettent de déterminer en amont le sexe de l’enfant, ce qui permet aux parents de communiquer celui-ci à leur entourage. L’opération à motivation “sociale”, censée améliorer le développement du genre de l’enfant, satisfait en fait surtout le besoin de catégorisation des parents.

 

C’est donc pour éviter un recours abusif à la pratique chirurgicale que le consensus de Chicago de 2006 (dont nous détaillerons l’objet par la suite), conseille de ne pas fixer le sexe de l’enfant au stade pré-natal.

 

Concernant le chiffrage des cas de DSD, associations et médecins s’accordent autour du chiffre d’un cas pour 2000 naissances, soit 0,05% des naissances. Cette très faible proportion atteste donc de la rareté de l’intersexuation, qui englobe par ailleurs un très grand nombre de pathologies de type DSD.

 

 

Chiffrage statistique complexe

 

La classification des DSD comme maladie rare justifie par ailleurs une prise en charge totale par la sécurité sociale pour les individus en situation d’intersexuation. Par ailleurs, la rareté et la division interne à la catégorie des DSD peut constituer un facteur explicatif à la mobilisation tardive de la cause par les individus concernés.

 

Toutefois, le chiffrage de l’intersexuation est également controversé puisque certaines associations avancent le chiffre de 10% de la population concernée par des degrés variés d’intersexuation (chiffres du RIFE). Le ciffrage de la question dépend en effet du nombre de catégories inclues dans la cétgorie DSD, comme nous le développerons dans la suite de cette partie.

 

La proportion de DSD est donc faible mais connaît une forte hausse depuis la seconde moitié du XXème siècle (en partie grâce aux progrès dans le diagnostic), compte tenu du développement de l’usage de pesticides. Ces derniers vont ainsi influer sur le développement hormonal au stade pré natal, et générer de nombreux cas de DSD, visibles ou non. Lors de notre entretien, le professeur Siffroi nous a expliqué que l’influence de ces perturbateurs endocriniens a pu être constatée essentiellement dans les régions rurales et viticoles, où les praticiens ont pu constater une forte hausse des cas de malformation génitale.

 

 

Classification et nomenclature de l’intersexuation

 

Intéressons-nous désormais à la classification des différentes situations de DSD. Cette dernière est également sujette à la controverse puisque associations et corps médical ne s’accordent pas sur le nombre de pathologies regroupées dans la catégorie d’intersexuation.

 

La plupart des associations s’accordent autour du chiffre de seize catégories internes à l’intersexuation. Cette catégorisation, qui résulte du consensus de Chicago de 2006,  est acceptée par la communauté médicale française. Cette classification de consensus a été permise par la mobilisation de près de cinquante experts internationaux de la question intersexe, qui oint travaillé sur une nomenclature plus adaptée de la question, et plus généralement sur un protocole international de traitement de l’intersexuation.

 

C’est d’ailleurs durant ce consortium qu’a émergé la terminologie DSD (disorders of sexual development), censée rendre compte de la diversité des profils internes à l’intersexuation, de manière neutre et non péjorative. C’est par ailleurs suite à ce consensus qu’a été imposée l’approche multidisciplinaire et collégiale de la question.

 

Les seize conditions définies par le consensus de 2006 sont les suivantes :

 

5-alpha reductase deficiency (5-ARDS)

 

Androgen Insensitivity Syndrome (AIS)

 

Partial Androgen Insensitivity Syndrome (PAIS)

 

Aphallia / Micropenis

 

Clitoromegaly

 

Congenital Adrenal Hyperplasia (CAH)

 

Hypospadias

 

Gonadal dysgenesis /Turner syndrome

 

Ullrich–Turner syndrome

 

Penile raphe

 

MRKH / Mullerian agenesis

 

Klinefelter syndrome

 

XXY

 

Ovo-testes (previously “true hermaphrodism”)

 

Progestin Induced Virilization

 

Swyer Syndrome

 

 

 

Certaines associations, dont ISNA, appellent de leurs voeux une nouvelle nomenclature, simplifiée et plus axée autour de la structure chromosomale des individus (nous développerons cet aspect dans les semaines suivantes).

 

Nous avons également pu constater dans nos recherches une ingérence de la sphère juridique dans le médical, avec une intervention du juge des affaires familiales en cas de désaccord entre les deux parents au sujet d’une opération. Sylvaine TELESFORT nous a par ailleurs informé de l’existence d’une jurisprudence (du même nom). Suite à l’examen de son cas par l’institution judiciaire, les professions psychiatriques n’ont plus le droit de traiter les cas de personnes intersexes.

 

Tous ces éléments attestent donc d’une forte controverse interne à la sphère médicale, essentiellement autour des actes chirurgicaux non motivés par des motifs purement médicaux. La controverse n’est pas purement médicale puisqu’elle appelle de nombreux aspects sociaux qui questionnent la représentation binaire du genre dans nos sociétés.


 

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